Cette semaine fut pour nous tous, particulièrement riche en émotions, en spectacles grandioses, en panoramas dignes des plus belles photos d'Aérial en hiver. Quelques chiffres : En 5 jours, environ 8 vols pour chacun sur 6 sites différents. 2 jours en local, 3 jours en cross. Je retiendrai les 2 séquences qui m'ont le plus marqué, même si plusieurs autres n'ont pas manqué d'intérêt.
Vaincre les cimes
Aujourd'hui, à 15 H, malgré plusieurs tentatives infructueuses, nous avons compris que la plupart d'entre nous ne sortiraient pas du bocal. L'instabilité n'est pas suffisante pour envisager de partir en cross, il faudra se contenter de jouer en local. Du bord du lac d'Annecy, si vous levez la tête vers l'Est, 3 parois verticales aux cimes agressives attirent obligatoirement votre regard. L'envie de vaincre ces pitons pointés vers le ciel démange tout le monde. Joël, notre guide, le sent bien. Il nous propose un petit déco sur le flanc ouest de la Tournette. La neige interdit au fourgon l'accès au terminus. Peu importe, nous ne sommes pas ici pour faire des km en vol mais bien pour atteindre, coûte que coûte, ces 3 sommets.
Décollage sous la Tournette
Les sacs sur le dos, c'est parti pour la marche d'approche, une bonne grimpette d'une demi-heure, mais quel plaisir : partout des perce-neige tapissent l'alpage, partout les marmottes sifflent à notre passage. Un vol de chocards, ces jolis petits corvidés au bec jaune, vient tourbillonner en craillant sur nos têtes. L'air est vif à 1500 mètres, le ciel est bleu, la vie est belle. Décollage. 200 mètres de perdu dans la première transition : 1300 m. Est-ce que ça va le faire … ?
Bip-bip timide, c'est parti …mais ce n'est pas fini, il faudra se battre longtemps, trouver le pierrier le plus généreux, le coin de falaise le mieux exposé. 20 minutes de bagarre dans de petits varios, mais c'est gagné, le plus petit des 3 sommets est atteint : LE LANFONET (1770 m) « Bascule sur l'arête Nord de la Tournette » me dit Joël à la radio « et reste bien sur cette arête, un pied d'un côté, un pied de l'autre ! »
Longue remontée vers le sommet
J'évite de regarder entre mes pieds. Le côté par lequel nous abordons l'arête est impressionnant. L'autre côté est pire encore. Ici, finie la forêt, finis les alpages. C'est la roche à l'état brut. La verticalité parfaite. Mètre par mètre, je grimpe, cherchant, ici aussi, le meilleur passage, la meilleure voie. Je redescends un peu pour essayer un peu plus loin. Ce n'est plus du parapente, c'est de l'escalade !
Je voudrais profiter du paysage, mais je suis si près du relief que je jette seulement un coup d'œil furtif. Je commence à apercevoir des immensités enneigées, des massifs dont j'ignore encore les noms, des vallées profondes, des chaînes hérissées de blanc. La montagne comme au cinéma ! Mais ce n'est pas le moment de se distraire. Y a encore du boulot pour grimper là haut. « Y en a marre de cirer le rocher, ça paye pas ! Et si je m'éloignais un peu. Quelquefois, le thermique est devant ! »
Louis, en soaring sur la Tournette
Je l'avais senti, il me soulève généreusement puis s'essouffle aussitôt. Plus que 2 ou 3 tours et ce sera bon. Allez petit, tu y es presque ! Je vois une croix, un replat au sommet du piton avec de la neige et quelques traces de pas. Il n'y a plus rien au dessus. Je laisse exploser un « YAOUH » de joie car je viens de vaincre mon deuxième sommet de la journée et quel sommet pour une journée à convection poussive : LA TOURNETTE : 2350 m. Je partage ma joie avec mes compagnons de vol. Une certaine euphorie des cimes s'empare de nous. Nous échangeons quelques mots de vive voix en tournoyant gaiement à quelques mètres au dessus du sommet. Ils me montrent le Mont-blanc que je n'avais pas eu le temps de localiser dans la concentration de ma montée et aussi la magnifique chaîne des Aravis que nous survolerons le lendemain après avoir décollé du même endroit et emprunté le même itinéraire de départ.
Reste la troisième pointe. Ce sera la plus facile aujourd'hui. Situées sur la même chaîne, 5 km au nord, j'étais le seul de l'équipe à ne les avoir jamais survolées, ce sont les célèbres DENTS DE LANFON (1880 m). La dent Nord est, elle aussi, surmontée d'une croix. C'est fini. Ne reste plus qu'à se laisser glisser en douceur sur 10 km, en admirant le spectacle du lac en fin de journée, pour rejoindre notre camping au bout du lac.
Voler avec les aigles
Aujourd'hui, c'est du sérieux. Joël, expert en météo nous annonce une bonne instabilité, des plafonds dépassant les 3000 m. En montant au déco, j'entends encore les marmottes. Quand il y a des marmottes, les aigles ne sont pas loin. Les jeunes marmottes inexpérimentées sont une proie facile pour le seigneur des cimes.
Rencontre au détour d'un thermique
C'est au-dessus du Grand-Bornand que j'apercevrai le premier aigle. Après un beau plaf à 3200 sur les avant-reliefs des Aravis, je venais de survoler la station de La Clusaz et notre groupe commençait à se disperser. Je cherchais le moindre indice pouvant m'aider à poursuivre ma route ou tout au moins à me maintenir en l'air. C'est à ce moment là que l'aigle m'est apparu : la taille de ses ailes, la forme de sa queue, aucun doute possible, c'était bien lui. Il tournoyait paresseusement quelques centaines de mètres au dessous de moi. Je ne le perdais pas des yeux, me dirigeais vers lui, tournais dans le même sens que lui, pensant qu'il allait rapidement s'enfuir en m'apercevant. Il a ovalisé pour recentrer le thermique et s'est retrouvé exactement à mon niveau. J'ai vu son bec énorme, sa tête qui se tournait dans ma direction, mais il continuait à enrouler nonchalamment avec moi. Il ne semblait pas du tout intrigué par ma présence dans son secteur. Une seconde fois, il a recentré « notre » thermique pour passer au-dessus de moi et disparaître en direction des Aravis.
J'étais aux barbules. Coup d'œil à l'alti : 3423 m, mon meilleur plaf de la journée. Je venais de vivre un grand moment de ma vie de modeste ornithologue libériste.
Depuis mon retour, j'ai du mal à trouver le sommeil, j'ai l'impression que cette image me hante ou bien inconsciemment, j'en cultive le souvenir, peut-être parce que j'ai peur d'oublier. Je tourne avec l'aigle, et à chaque tour, je vois d'un côté le Mont Blanc, de l'autre le lac Léman et en bas le Grand-Bornand. Les Aravis aussi sont en bas et déjà derrière moi. Les barbules se rapprochent. J'ai le vertige quand j'y pense. J'en frissonne encore. Je pense que ce vol de 4 heures et ce circuit bouclé de près de 80 km restera pour moi l'aboutissement de ma carrière de libériste, de ma vie de sportif peut-être. Denis, Guy-Cédric et Pascal sont allés plus loin encore. Bravo les champions !
Le lendemain, sur les hauteurs de Samoëns, avec Pascal, c'est un couple d'aigles qui nous indiquera le meilleur noyau d'un bon thermique qui nous hissera au-dessus des sommets convoités. Ces deux expériences confirment ce que j'avais lu : quand l'aigle enroule, inutile de chercher ailleurs, c'est là qu'il faut aller ! C'est là que ça va monter.
Souvent, nous grattons comme des poules dans nos collines poussiéreuses. Cette semaine, nous avons volé avec les aigles au-dessus des hautes cimes enneigées.
Autres superbes vols
La super balade du premier jour, malgré des plafonds bas : décollage du Sire, Le Revard, le Semnoz, basculer sur le Roc des Bœufs, traverser le Lac, Col de la Forclaz, Dents de lanfon, Tête du Parmelan, retour Planfait. Environ 60 km pour ceux qui sont allés jusqu'au bout. J'ai été le premier à décrocher. J'y retournerai pour le faire. Je connais maintenant le cheminement.
La balade un peu agitée à 2800 m au-dessus de Chamonix, entre le Brévent (2500) et le Mont-Blanc. Du grand spectacle … Impressionnant.
La balade de 40 km du dernier jour : Déco Mieussy, cap vers l'Est - La Bourgeoise, traverser la large vallée de Samoëns, raccrocher en face sur les stations de ski vers les Carroz d'Araches avant de poser le soir à Cluses ou à Samoëns, fatigués mais heureux.
Bilan
Il faut bien l'avouer, un tel stage ne ressemble en rien à une gentille sortie dominicale.
Les objectif sont clairement annoncés dès le départ : nous payons un professionnel, nous sommes là pour réaliser les plus beaux vols, les plus longs, les plus audacieux, en fonction des conditions de chaque jour.
Jusqu'à la veille du départ, plusieurs questions reviennent obligatoirement à l'esprit de chacun : Aurai-je le niveau pour suivre le groupe ? Que penseront mes copains si je les retarde ? Quelle image aurai-je de moi à la fin de la semaine si j'ai surestimé mes capacités en m'inscrivant à ce type de stage ?
Tous les soirs, autour du verre de l'amitié pour arroser les vols de la journée, le repas se prépare, les plaisanteries fusent, tout le monde rit et s'amuse mais ensuite, au calme, dans son lit, chacun fait son propre bilan.
Il faut bien l'avouer, cet environnement géant nous met bien la pression, c'est peut-être pour cela que nous en parlons tous avec tellement d'émotion.
Un grand merci aux organisateurs, merci à Joël, un vrai pro, merci à Cyril notre sympathique chauffeur qui me disait lors de ma première récup : « Joël, c'est un oiseau ! »
Aurai-je le niveau pour suivre le groupe ? 
